SILK ROAD

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Derrière son histoire de flic-criminel ultra classique (et pas toujours très subtile), Silk Road se dresse en miroir critique de notre époque. Inspiré de l’histoire vraie de Ross Ulbricht, qui avec le site Silk Road a créé « l’Amazon de la drogue », pour le citer, le long-métrage s’inscrit dans la lignée des biopics sur les géants d’Internet (The Social Network, Steve Jobs). Tiller Russell explore la reflexion d’Ulbricht l’ayant mené à l’idée de fonder ce site, dévoilant le danger permis par Internet. En s’isolant du monde et en se persuadant que ses idées libertariennes permettraient à tous (et surtout à sa génération) de s’affranchir des lois, le protagoniste incarne toutes les dérives et mutations engendrées par l’essor du numérique. Comment garantir la liberté de tous et un semblant d’ordre social à l’époque de tous les possibles ? Tiller Russell n’a pas la réponse, et son flic au passé tumultueux incarné par Jason Clarke (Rick Bowden) ne l’a pas non plus.

Le long-métrage explore également les limites éthiques d’une chasse à l’homme à l’ère du numérique : l’agent chargé (ou plutôt, qui se charge lui-même) de l’enquête est un homme instable prêt à tout pour arrêter le hors-la-loi… quitte à lui-même fair l’impasse sur un paquet de lois. Il multiple les activités illicites pour mettre la main sur Ulbricht, se persuadant que tout ce qu’il fait est pour une bonne cause, avant de se rendre à l’évidence bien trop tard. Jason Clarke apporte toute la sensibilité nécessaire pour faire de ce personnage un peu plus qu’un flic tourmenté déjà vu partout ailleurs : Rick Bowden est né à la mauvaise époque. Il est la personnification du crépuscule d’une époque où les règles semblaient encore claires. Bowden incarne une position anachronique et symbolise toute une génération délaissée, coincée dans un
monde dont personne ne veut le libérer.

Silk Road tente de s’affranchir des codes du thriller classique pour offrir une réflexion sur les fractures — celles qu’on referme et celles qu’on ouvre — de la modernité, incarnée par la révolution du numérique qui a si brusquement rebâti les cartes de nos vies. Parce que si l’oeuvre de Tiller Russell met évidemment en garde contre les risques liés au progrès, c’est plutôt dans sa analyses sur les limites de la liberté que le film trouve sa saveur. Le rêve d’Ulbricht n’est autre qu’une dystopie dans laquelle la pleine autonomie de tous se transforme en cauchemar à échelle internationale. Les failles de la technologie sont moins au coeur du problème que les personnes qui se l’approprient. Ce n’est pas qu’une histoire de flics et de criminels : c’est le portrait d’une époque en bascule, où tout semble possible, mais où rien n’est maîtrisé.