PATRIA OBSCURA

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Stéphane Ragot est photographe de profession. Il est donc familier de la camera obscura, chambre noire en VF. Un instrument optique qui permet d’obtenir une projection de la lumière sur une surface plane. En réalisant Patria obscura, il a visiblement eu le désir d’obtenir une projection physique d’un concept immatériel,  son appartenance à un pays, en l’occurrence la France, sur un écran de cinéma.

Patria obscura est moins un documentaire, au sens habituel du terme qu’un journal intime, une quête identitaire où nous sommes pris à partie. Stéphane Ragot a une famille, son film est comme une balade dans les archives et les souvenirs. Au fur et à mesure qu’il progresse dans son enquête, qu’il met en lumière les non-dits et exhume quelques cadavres dans les placards. Entre consultation de documents et rencontres avec les survivants, sa démarche est celle d’un historien, ramenée à l’intime.

Mais voilà, à fouiller dans les archives, on découvre que tout n’est pas aussi blanc ou aussi noir que ce que l’on disait. Les deux grands-pères de Ragot étaient militaires. Mais l’un avait été décoré par de Gaulle quand le second était né de père inconnu. On comprend qu’ils ne pouvaient pas avoir le même statut dans la geste familiale. Sauf que ce n’est pas si simple et que passé un cap, l’Histoire reprend ses droits

 
Dans le même genre vous pouvez trouver L'IMAGE MANQUANTE (C'est la même introspection personnelle dans un contexte général, figurines miniatures à l'appui) ou encore MUSIC BOX (Le personnage principal du film enquête sur son père pendant la guerre et découvre un cadavre dans le placard).

Le plus intéressant dans ce film atypique, c’est l’illusion d’optique qu’il met en place. Car si le propos est tout d’abord de mettre au clair une histoire familiale, il va de soi que l’ambition du film est de relier le particulier au général. Et de montrer que c’est l’ensemble des millions d’équations individuelles qui déterminent l’histoire collective. En insistant sur les zones d’ombres de sa famille, Ragot donne à comprendre que les débats qui ont lieu de plus en plus souvent, de façon de plus en plus passionnelle sur cette fameuse identité française sont sans doute viciés à la base. Derrière la démarche personnelle, le propos est donc sinon militant, du moins partisan. D’où l’irruption au détour d’une scène de sans-papiers dont la présence ne relevait pas immédiatement de l’évidence.

Sur le plan formel, le film est des plus originaux, qui mêle quelques images d’archives à celles que le photographe rapporte de ses périples, avec un goût certain pour un montage qui sort des sentiers battus. Nous sommes fascinés par les images récurrentes de petits soldats de plomb sans doute préservés de l’enfance, mais qui finissent par être une représentation symbolique des aînés dont on revisite l’existence. On a du mal alors à ne pas penser aux personnages de pâte à modeler de L’Image manquante, le documentaire de Rithy Panh consacré à sa famille prise dans la tourmente de l’apocalyptique révolution khmère rouge.

Son titre nous le rappelle, Patria obscura est aussi un film de photographe. Qui nous offre de voir de superbes photos de la France profonde d’hier et d’aujourd’hui mais qui aussi ravive la mémoire d’épisodes douloureux lorsque surgissent sans crier gare des images d’Oradour-sur-Glane, ce village martyrisé par la barbarie nazie. Quand les tragédies individuelles croisent celles portées par tout un peuple.