LES DIABOLIQUES (VERSION RESTAURÉE)

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C’est en 1952 que Pierre Boileau et Thomas Narcejac font paraître Celle qui n’était plus, le deuxième roman de leur riche collaboration. Ils y racontent l’histoire de Fernand Ravinel, représentant en articles de pêche, de sa femme Mireille, sans profession, et de sa maîtresse Lucienne, doctoresse dans un hôpital nantais. Vous comprendrez que je ne peux pas vous en dire plus – suspense oblige ! –, bien que le film que vous allez voir soit, véritablement, très différent du livre. Effectivement, si Henri-Georges Clouzot reprend l’ossature du récit, il en modifie complètement les personnages et l’intrigue. C’est ainsi que le falot représentant en articles de pêche devient l’odieux directeur d’une minable institution scolaire – Paul Meurisse –, que la jeune épouse sans profession et au passé de fugueuse devient la chétive propriétaire et l’une des enseignantes de la susnommée institution – Véra Clouzot – et que la maîtresse n’est plus médecin à Nantes mais, elle aussi, institutrice – Simone Signoret.

Pour tout vous dire, Clouzot n’a pas changé que cela – loin de là ! – d’ailleurs, dans la préface accompagnant une réédition de leur roman, Boileau et Narcejac ont écrit : "Entre Celle qui n’était plus et le film que ce roman a inspiré à Henri-Georges Clouzot, il n’y a qu’un lien, si mince qu’on pourrait croire le film étranger au livre, si solide qu’on est obligé de reconnaître leur profonde parenté. [...] Le film de Clouzot est beaucoup moins une adaptation qu’une recréation." Mais, ne comptez pas sur moi pour vous en dire plus. Comme vous le constaterez vous-même, le film s’achève par un avertissement aux spectateurs en forme de supplique : "Ne soyez pas Diaboliques ! Ne racontez pas ce que vous avez vu." Donc, motus et bouche cousue !

Ce que je peux vous dire, en revanche, c’est que face au trio infernal Meurisse-Clouzot-Signoret, vous reconnaîtrez Michel Serrault qui, à 26 ans, après son rôle de trompettiste-catastrophe dans Ah ! Les belles bacchantes, faisait, ici, ses véritables débuts au cinéma sous la direction d’un tyrannique réalisateur n’ayant pas trop de temps à perdre avec ce débutant impressionné et traqueur : "L’ambiance sur le plateau n’était pas à la rigolade, écrira le comédien en 2001 dans ...Vous avez dit Serrault ? son autobiographie. Il y avait un côté ciel plombé qui alimentait mon trac plus qu’il n’aurait fallu."

Une grande partie du film se déroulant au sein d’un établissement scolaire, Clouzot y dirigea, évidemment, un groupe d’enfants parmi lesquels : Yves-Marie Maurin (10 ans), le frère aîné de Patrick Dewaere ; Georges Poujouly (14 ans), l’ancien petit compagnon de Brigitte Fossey dans Jeux interdits de René Clément, et Johnny Hallyday (11 ans) que l’on aperçoit – c’est court, ne le ratez pas – entre Simone Signoret et Pierre Larquey pendant la scène de la photo de classe. La future idole des jeunes devra encore patienter sept ans pour Retenir la nuit, face à Catherine Deneuve, dans le sketch des Parisiennes dirigé par Marc Allégret.

 
Dans le même genre vous pouvez trouver LA FAILLE (2007) ou encore MEURTRE PARFAIT (1998) .

Maintenant que vous faites partie de ceux qui ont vu Les Diaboliques, je ne suis plus tenu à ce silence imposé par Henri-Georges Clouzot : "Ne soyez pas Diaboliques ! Ne détruisez pas l’intérêt que pourraient prendre vos amis à ce film. Ne leur racontez pas ce que vous avez vu. Merci pour eux." Je peux donc, enfin, parler et vous dire que le scénario des Diaboliques, contrairement au roman de Boileau et Narcejac, obéit scrupuleusement à la stricte morale de ces années 1950.

Ainsi, si la machination et son procédé sont quasiment identiques dans le roman et dans le film  – une fausse noyade dans une baignoire et un faux cadavre qui disparaît –, les rôles ne sont pas distribués de la même manière. Chez Clouzot, c’est le mari et sa maîtresse qui veulent éliminer l’épouse encombrante en faisant croire à cette dernière qu’elle se débarrasse de son mari violent, alors que dans le livre, c’est la femme et la maîtresse qui éliminent le mari et amant en lui faisant croire qu’il se débarrasse de sa femme.

Comme la frêle épouse du film, le chétif mari du roman devient fou lorsque le – faux – cadavre de sa femme, qu’il croit avoir tuée, disparaît dans la nature et que lui parviennent de sibyllins messages semblant provenir de l’au-delà : "Chéri, je suis obligée de m’absenter deux ou trois jours. Mais ne t’inquiète pas. Rien de grave. Je t’expliquerai..." !

Alors que la fragile épouse du film mourait d’une attaque cardiaque à la vue du faux cadavre ruisselant, les yeux faussement exorbités, émergeant d’une autre baignoire, le chétif mari du roman, seul et dépressif, accomplira le geste qu’avait prévu ses deux meurtrières : il se suicidera. C’est ainsi qu’elles pourront, enfin, filer le parfait amour, sous le brûlant soleil de la Côte d’Azur.

Le crime ne pouvant, au cinéma, à cette époque, rester impuni, Clouzot invente le personnage du vieux commissaire en retraite, alias Charles Vanel. Totalement absent du roman, le bonhomme va comprendre la machination, certes un peu tard, mais arrivera à point nommé pour annoncer aux deux criminels les années de bagne qui les attendent. C’est ainsi que Clouzot remplace le couple illégitime, criminel et homosexuel du roman qui échappe à tout châtiment, par un couple, tout aussi illégitime et criminel, mais hétérosexuel et condamné. Ouf, la morale est doublement sauve !

Constitutive du roman mais donc totalement gommée par Clouzot, la relation homosexuelle liant l’épouse à la maîtresse réapparaitra, en 1996, dans Diabolique, le fameux remake dans lequel, avec une pudeur toute hollywoodienne mais sans trop d’hypocrisie, le cinéaste Jeremiah Chechik ne cachait pas l’inavouable attirance de Sharon Stone pour Isabelle Adjani.

A propos de ce remake, on se souviendra que son exploitation française avait été entravée par le conflit opposant son producteur, James Robinson à Inès Clouzot, la veuve du cinéaste, le premier affirmant – contre toute évidence – qu’il ne s’agissait pas d’un remake et que, par conséquent, il ne devait rien à l’héritière. Finalement, la parenté des deux films fut reconnue et Madame veuve Clouzot se satisfit d’un chèque dont le montant, non officiel, fut estimé par la presse de l’époque à 750.000 francs, un peu plus de 114.000 €.

Madame Delassalle : « Nous sommes des monstres, Dieu n'aime pas les monstres. » Mademoiselle Horner : « S'il n'y a que lui, tu me rassures. Parce que le grain de sable qui tombe des mains de la providence, moi je réserve ça pour mon cours de morale. » Je vous préviens, ...

Que reste-t-il à prouver à Clouzot après Le Salaire de la Peur ? Pas grand-chose, si ce n’est que sa femme est une actrice digne du haut de l’affiche, et que la maitrise du film précédent peut rendre les policiers qu’il réalisait auparavant encore plus intenses. Les ...

Si je pouvais crever pour de bon, et ne plus le voir. Et bien crève, ma chérie, crève bien vite. On te fera un bel enterrement, et on sera bien débarrassé. La boutique s'en portera pas plus mal, et moi je m'en porterai bien mieux. Certains films de Clouzot sont ...