LA VIE ET RIEN D'AUTRE (VERSION RESTAURÉE)

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La guerre de 14 a beaucoup irrigué les écrans, principalement français et américains. Que les films aient été faits à chaud, sous la direction de Griffith ou d’Abel Gance, ou qu’ils aient bénéficié du regard des historiens, ils sont pour la plupart des plus critiques quant à la boucherie des tranchées, Kubrick, Losey, Boisset ou Jean-Loup Hubert ne mâchant pas leurs mots pour décrire le sanglant sacrifice de tout un continent. Mais La Vie et rien d’autre se déroule après la guerre. A l’instar des Fragments d’Antonin ou de Cessez-le-feu, le film nous décrit les ravages du conflit dans une nation qui panse patiemment ses plaies.

C’est en lisant un roman de Didier Daeninckx, La Der des ders, que Tavernier a pris conscience que la guerre n’avait pas produit que des morts et des blessés, mais qu’elle était comptable de quelque 300 000 disparus pour ne parler que des Français. Le cinéaste s’est demandé qui étaient ces disparus. Étaient-ils morts, ou errant le cerveau en friche ? La Vie et rien d’autre met ainsi en scène un officier dont la mission consiste à mettre un nom sur les corps retrouvés et un corps sur les noms dont on lui a donné la liste. Il se dit dreyfusard et visiblement se désole de cet incommensurable gâchis, refusant de participer au moindre emballement cocardier.

Pour brosser le portrait de cet officier, comme de celles qui ne se résignent pas à faire leur deuil d’un disparu qui s’obstine à le rester, Bertrand Tavernier a fait appel à un scénariste de grand talent, Jean Cosmos, avec qui il retravaillera par la suite sur d’autres films à teneur historique : La Fille de d'Artagnan, Capitaine Conan, Laissez-passer et La Princesse de Montpensier. Cosmos fait merveille pour marier poésie et sarcasme, humour et désolation. Notamment quand le film se met en tête de nous indiquer dans quelles conditions rocambolesques il a fallu choisir un mort anonyme pour l’installer sous l’Arc de triomphe au nom de tous les soldats morts pour la France.

 
Dans le même genre vous pouvez trouver CAPITAINE CONAN (C'est un autre film de Tavernier qui se déroule dans l'immédiat après-guerre de 14, où l'on voit que les chairs et les âmes sont meurtris.) ou encore CESSEZ-LE-FEU (Il s'intéresse aux retombées de la guerre de 14 dans les esprits de ceux qui y ont participé comme de ceux qui ont subi les dommages collatéraux.).

La Vie et rien d’autre date de 1989. C’est le onzième long métrage de Bertrand Tavernier. Et pourtant, malgré les succès qui ont jalonné la carrière du cinéaste, le film est des plus difficiles à financer. Les télévisions le jugent morbide, les producteurs regardent ailleurs, à l’exception de René Cleitman, qui peine à boucler le budget. Mais Tavernier n’est pas homme à renoncer. Il est convenu que les techniciens seront payés au tarif syndical, que la production ferait des sacrifices et que Philippe Noiret mettrait son cachet en participation. Au final, le film se tourne en huit petites semaines, ce qui n’empêche pas certaines séquences de belle amplitude, où l’exactitude de la reconstitution de la France des années 20 semble parfaite. Il faut dire que Tavernier est un amoureux de l’Histoire et que nombre de ses films se déroulent dans le passé. Parce que celui-ci est fécond pour qui veut raconter des histoires, mais aussi parce qu’il éclaire bien souvent le présent, les hommes n’ayant souvent pas d’autre choix que de refaire les mêmes bêtises. A noter que les pessimistes avaient tort : La Vie et rien d’autre a connu un joli succès public, plus d’un million de spectateurs. C’est le second plus grand succès de Tavernier, derrière le décapant Coup de torchon.

Bertrand Tavernier a coutume de dire que Philippe Noiret était son comédien autobiographique. Une formule énigmatique, qui signifie sans doute que le cinéaste se reconnaît dans la mélancolie et l’humanité que transmet le comédien à nombre de ses personnages. C’est avec Noiret dans le rôle-titre que Tavernier a signé son premier film, L'Horloger de Saint-Paul, en 1974. Ont suivi Que la fête commence, Le Juge et l'Assassin, Coup de torchon, La Vie et rien d'autre et La Fille de d'Artagnan. Si l’on ajoute Une Semaine de vacances et Autour de minuit, où Noiret n’a que des rôles secondaires, cela fait un total de huit films en l’espace de vingt ans. Et c’est à La Vie et rien d’autre que Philippe Noiret doit d’avoir reçu un second César.  

Les contempteurs du film craignaient que la mort soit omniprésente et qu’elle plombe l’atmosphère, Tavernier leur rétorquant que le film porte son titre intentionnellement et qu’il n’est question ici que de vie. Ou plutôt de retour à la vie après l’enfer de la guerre. Le film en porte les stigmates, qui s’interdit toute couleur vive et porte le deuil des disparus. Mais la terre renaît de ses cendres et redevient productive, les bâtiments trouvent une nouvelle affectation : une usine devient hôtel, une église est transformée en cabaret, un théâtre en bureau administratif, bref on s’adapte. Les hommes eux-mêmes cessent de se tourner vers le passé et se targuent de résilience, ils célèbrent la vie, la bonne chère, s’ouvrent à de nouvelles amours. Parce que le film est aussi, et peut-être même d’abord un film d’amour. Entre notre officier qui croyait qu’avait sonné l’heure des bilans, et une bourgeoise en quête de son mari disparu, qui se libère peu à peu de ses manières étriquées pour s’ouvrir au monde. Fanny Ardant avait été pressentie pour endosser le rôle, mais c’est au final Sabine Azéma, que Tavernier avait dirigée quelques temps plus tôt dans Un dimanche à la campagne, qui est retenue. Elle reconnaît avoir eu un peu de mal à entrer dans le film et son univers très masculin, avant d’y faire des merveilles, ajoutant sa grâce à un film qu’il n’est pas incongru de qualifier de chef d’œuvre.

La vie et rien d’autre est un film historique. Ample par sa reconstitution, doté d’un casting prestigieux, il semble s’inscrire dans une tradition dont nous visionnons aujourd’hui encore les survivances, du Soldat Ryan à La Ligne Rouge. Alors qu’il est facile de taxer ...

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