DES HOMMES

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Le film nous fait entrer dans un village de France, peu importe qu’il soit breton ou lorrain, un village parmi d’autres, où tout le monde connait tout le monde, et où les rancœurs sortent de terre comme les champignons après la pluie. Des hommes est un film d’atmosphère, une atmosphère plombée par quelques lourds secrets auxquels nous n’aurons accès que peu à peu. Mais parfois le non-dit en dit long. Les personnages ne s’ouvrent à nous qu’avec réticence. Et nous avons parfois le sentiment gêné d’être des intrus.

Des hommes possède bien des atouts. La présence de très grands comédiens à l’affiche n’est pas le moindre. A commencer par Depardieu, qui débouche dans le film pour nous hanter de bout en bout, le plus souvent sans piper mot. Mais toute la violence, toute la douleur du monde se devinent dans son regard.  Jean-Pierre Darroussin et Catherine Frot complètent le trio du premier plan. Des rôles tout en nuances, qui laissent deviner plus qu’ils ne disent. Mais ces deux-là sont complices depuis le Conservatoire, et pas seulement depuis Un air de famille et cela se voit. Le plaisir du jeu est ici essentiel, sans que les comédiens ne passent devant leurs personnages et leur portent ombrage.

Le film se réfère, nous le comprenons vite, à la guerre d’Algérie. Pas directement sur le plan historique ou politique, plutôt sur le plan émotionnel. Il n’y a pas de bon ou de mauvais, chacun a ses raisons. Mais tous sont blessés par cette guerre que l’on disait sans nom, y compris ceux qu’elle avait fait mine d’épargner.

 
Dans le même genre vous pouvez trouver NE LE 4 JUILLET (Les deux films ont le traumatisme de la guerre et l'impossibilité de la résilience en commun.) ou encore UN BALCON SUR LA MER (Les blessures morales de la guerre d'Algérie sont au coeur des deux films.).

Des hommes nous parle donc de la guerre d’Algérie. Il est souvent répété que cette guerre a rarement été abordée à l’écran. C’est pour le moins hâtif. On ne dressera pas ici la liste complète des films qui la relatent, de RAS à Avoir vingt ans dans les Aurès, en passant par L’Honneur d’un capitaine ou La Question. Mais Des hommes occupe une place à part, qui ne cherche pas à retracer les riches heures du conflit, mais plutôt à en analyser les retombées. Le film le dit bien : « La guerre c’est des salauds qui la font à des types bien. Là, des types bien, y’en avait pas, c’étaient des hommes, c’est tout. »   Lucas Belvaux ne fait pas de films politiques au sens immédiat du terme, mais la politique est pourtant omniprésente. Son film précédent, Chez nous pointait du doigt le poison patiemment répandu dans les âmes et les cœurs par un certain parti d’extrême-droite. Des hommes ne le porte sans doute pas à la boutonnière, mais laisse quand même entendre que ce sont sur les friches des blessures mal refermées que pousse la haine. Dès lors le va-et-vient entre passé et présent cesse d’être un procédé narratif pour s’avérer être au cœur du projet.             

Car le film n’est pas chronologique, qui nous ramène au passé dès qu’il en a l’opportunité. C’est un patchwork d’informations qui nous est livré peu à peu, mais aussi un ensemble de sensations et d’émotions, portées par une voix off qui donne dans la dentelle, étant très présente pour exprimer ces choses qui tournent dans la tête mais ne s’expriment pas publiquement. Ce soliloque apporte beaucoup à la couleur du film et confirme que les âmes sont plus encore meurtries que ne le sont les corps. Et la guerre devient entre les mots comme un secret de famille élargie à l’échelle de toute une génération.

Que le film nous suffoque, ne nous laisse pas indemnes n’a en tous cas rien d’étonnant. Si les films de Lucas Belvaux sont différents les uns des autres sur le plan formel, ils ont en tous cas en commun de nous prendre à partie, de nous impliquer. Nous nous souvenons de 38 Témoins, où le temps semblait suspendu autant que la tension était palpable. Ou encore de Pas son genre, qui actait l’échec d’une histoire d’amour du fait du fossé culturel existant entre les deux tourtereaux. Etc., etc. Des hommes n’est pas un sujet original, il est adapté d’un roman de Laurent Mauvigner, mais il est bien évident que l’on ne choisit pas d’adapter un livre au hasard. Lucas Belvaux s’est investi à 200% pour raconter ces vies que la guerre a irrémédiablement abimées. Une façon de boucler la boucle… Souvenons-nous que notre homme était comédien avant de se glisser derrière la caméra. Et qu’il avait commencé sa carrière en incarnant un enfant de troupe réfractaire à la discipline militaire dans ce qui est sans doute le plus beau film d’Yves Boisset, Allons z’enfants.

Je découvrais ce film en même temps qu'un doc sur Michael Cimino ('God Bless America' de Jean-Baptiste Thoret) dont des citations peuvent m'aider à dire ce que j'ai ressenti et aimé dans le film de Lucas Belvaux: (Cimino raconte ) "Quand j'étais étudiant en architecture, ...

La thématique de la conciliation, entendue comme l’entreprise qui cherche à réunir au sein d’un ensemble des individus isolés et opposés, occupe une place de choix dans le cinéma de Lucas Belvaux. On se souvient de l’excellent Pas son genre (2014) et du conflit qu’il ...

Les hommes allaient à la guerre, de gré ou de force. Les mères et les sœurs attendaient leur retour quand eux-mêmes rêvaient de la quille.La guerre d'Algérie qui n'a pas voulu dire son nom, et qui aujourd'hui encore se tait, est le dernier conflit auquel l'armée ...