ANORA en VOD
- De
- 2024
- 133 mn



- Comédie
- Etats-Unis
- - 12 ans
- VM - HD
PARCE QUE
Reparti avec la Palme d’or du Festival de Cannes 2024, Anora n’a pas échappé à la règle immuable de cette récompense : déclencher de vifs débats. Le film de Sean Baker, que personne n’avait vraiment vu venir si haut dans le classement des prix, méritait-il la distinction suprême alors que son intrigue peut sembler mince et son propos peu politique ? A-t-il été favorisé par la présidente du jury, Greta Gerwig, estampillée ciné indé américain, qui aurait reconnu chez le réalisateur de The Florida Project l’un de ses pairs ? Dans tous les cas, le long-métrage pop ne ressemble pas vraiment à la palme classique auteurisante. Mais on aurait tort de voir dans ce voyage effréné auprès d’une travailleuse du sexe de Brooklyn un film simpliste et peu abouti, bien au contraire.
Sean Baker aime filmer la marge. Lui qui s’est intéressé à un migrant ghanéen (Prince of Broadway), des prostituées trans (Tangerine), une mère célibataire précaire (The Florida Project) ou encore un ancien acteur porno fauché (Red Rocket) jette cette fois-ci son dévolu sur Anora, qui préfère qu’on l’appelle Ani, strip-teaseuse dans un club new-yorkais et escort à ses heures supplémentaires (grassement) payées. Lorsqu’elle tombe par hasard sur le fils d’un oligarque russe qui l’emploie à la semaine, la jeune ambitieuse flaire le bon plan. Lorsqu’il l’embarque à Las Vegas et la demande en mariage, elle met du temps à réaliser que l’ascenseur social s’est peut-être décidé à tenir ses promesses. Serait-il enfin venu, le temps de la vie facile de suites de luxe en soirées open bar ? Pas si vite. Sitôt la bague au doigt passée, les parents du garçon envoient leurs hommes de main pour exiger une annulation.
Dès la première partie du film, course tourbillonnante et endiablée, féérique jusqu’à l’overdose, la caméra du cinéaste américain sait distiller des éléments de malaise qui laissent préfigurer l’effondrement. Il y a dans cette débauche d’argent quelque chose de forcément un peu terrifiant, jusqu’au pathétique, et Sean Baker a l’intelligence de nous montrer Ani comme toujours un peu extérieure à cette vie qui ne lui ressemble pas et à laquelle, au fond, elle sait qu’elle n’a pas le droit d’appartenir. Anora s’articule ensuite autour d’une scène pivot extraordinairement maîtrisée dans son timing comique, avec un sens des champ-contrechamp et des mouvements de caméra extraordinaires. Mais là encore, le cinéaste a surtout l’art de présenter, sans en avoir l’air, au gré d’un décadrage et d’une mise au point sur son arrière-plan, ce qui sera important pour la suite. En l’occurrence, le personnage d’Igor, homme de main arménien bourru et juvénile à la fois, drôle à son insu. Puis, c’est reparti pour une autre course dans la nuit new-yorkaise, effrénée et hurlante, nouvelle preuve s’il en fallait une que Sean Baker ne maîtrise rien tant que les scènes de disputes.
Mais l’immense mérite d’Anora est surtout de ne jamais perdre son point de vue sur les ultra-riches, et non à leur place. Pour une fois, dans la nuée de fictions qui fleurissent, sur petit comme grand écran, autour des 1% qui se déplacent en jet privé et donnent un prix même pour les choses qui n’en ont pas, en voici une qui montre l’envers du décor : les conséquences de cette insouciance sur le reste du monde. Cela passe par un plan furtif sur les personnes chargées de nettoyer la villa des oligarques après une soirée dantesque, par un autre tout aussi bref sur le visage d’un employé d’un hôtel de Las Vegas qui vient de se faire conspuer « pour de faux » mais surtout par Ani, Cendrillon moderne à qui l’on arrachera sans vergogne ses pantoufles de vair. Dans le rôle, Mikey Madison, entraperçue dans Scream V, est époustouflante, capable de passer du cri de rage à l’étincelle de malice ou du rire solaire à la mélancolie insondable en moins de temps qu’il n’en faut à un oligarque pour obtenir un prêt bancaire. Si la palme d’or a fait débat, l’actrice, elle, a mis tout le monde d’accord.