MA VIE MA GUEULE en VOD
- De
- 2024
- 100 mn
- Comédie
- France
- Tous publics
- VF - HD
Réalisé par
PARCE QUE
Les films n’existent pas uniquement dans ce qu’ils montrent et racontent. Tous sont aussi le produit de l’histoire de leur fabrication. Et, parfois, surtout lorsque ce parcours est compliqué, cette histoire prend beaucoup de place. Ma vie, ma gueule ne peut s’envisager sans en tenir compte, tant le long-métrage a failli ne jamais voir le jour. Sa réalisatrice, Sophie Fillières, tombée malade juste après le bouclage des financements, est décédée trois semaines après la fin du tournage. Ce sont ses enfants, Agathe et Adam Bonitzer (respectivement actrice et cinéaste), qui en ont supervisé le montage, entouré de quelques fidèles et forts des conseils donnés par leur mère sur son lit d’hôpital.
Or, un lit d’hôpital, il y en a aussi un dans le film, sur lequel atterrit l’héroïne. Barberie Bichette a déjà un patronyme difficile à porter. Mais son surnom l’est tout autant : se faire appeler Barbie quand on a bientôt 60 ans est d’une cruelle ironie. Son trajet jusqu’au fameux lit se fait dans une drôlerie absurde propre au cinéma de Sophie Fillières, qui n’aime rien tant que les personnages féminins inadaptés au monde – à moins que ce soit l’inverse. Plus qu’un trajet d’ailleurs, il s’agit d’un glissement. Peu à peu, ce qui ressemble d’abord à des tics charmants, comme une extraordinaire capacité à parler toute seule ou des élans poétiques un peu fous (Barberie travaille dans une agence de publicité), prend une dimension plus tragique. Celle-ci est d’autant plus troublante que la réalisatrice n’a pas réécrit le film après l’annonce de sa maladie. Cette femme qui tangue et qui réfléchit à sa mort, cette mère célibataire qui semble tantôt plus âgée, tantôt redevenir petite fille, et dit au revoir à ses enfants avant de prendre un bateau dans une scène magnifiquement déchirante, était là depuis le départ.
Ma vie, ma gueule, est donc bien l’autoportrait que laisse deviner le titre. Mais il n’est pas traversé par la paralysante certitude que la fin est proche. Au contraire, en dépit de son sujet qui aurait pu la conduire vers le pathos, Sophie Fillières signe un film d’une luminosité folle. La dépression, la solitude, la maladie se parent de poésie, au gré d’apparitions improbables – à commencer par celle de Philippe Katerine, dans son propre rôle. On reconnaît aussi le sens des dialogues de la cinéaste, qui a l’habitude non seulement de les écrire mais de les répéter à haute voix, et dont les mots sont capables d’éclabousser une simple scène de leur beauté. « Je ne suis plus la femme que je n’étais même pas encore à l’époque », lance ainsi Barberie à un homme qu’elle ne reconnaît plus.
Pour porter un tel projet, il fallait une actrice à la hauteur de l’enjeu. C’est peu dire qu’Agnès Jaoui plonge la tête la première dans les différentes couches de Barberie Bichette pour s’en parer et les rendre à l’écran. C’est elle qui la tire du mélodrame vers la comédie, avant de refaire ce chemin en sens inverse : dans une scène bouleversante, la comédienne passe de l’excitation enfantine à la brutale réalisation de sa maladie, comme si deux femmes différentes se superposaient d’un seul coup. C’est Agnès Jaoui, enfin, qui rattrape le film lorsque celui-ci se fait plus hésitant, comme l’ont souvent été les œuvres de Sophie Fillières, imparfaites mais résolument personnelles, donc remarquables au sens premier du terme. Ma vie, ma gueule oscille autant que son personnage principal. Et bouleverse de la même manière.