MEKTOUB, MY LOVE : CANTO UNO

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Pour son sixième long métrage, quatre ans après La Vie d’Adèle et sa Palme d’Or au Festival de Cannes 2013, Abdellatif Kechiche tire pour la deuxième fois consécutive son scénario d’un livre. Comme il avait précédemment adapté, avec sa coscénariste et monteuse attitrée, Ghalia Lacroix, le roman graphique Le Bleu est une couleur chaude de Julie Maroh, il choisit cette fois le roman initiatique signé François Bégaudeau, La Blessure, la vraie, publié en 2011. L’histoire de François, 15 ans, qui revient sur son lieu de vacances en Vendée à l’été 1986 et retrouve le monde de son enfance alors que lui-même a changé.

Ecrivant à quatre mains, Kechiche s’imprègne de l’élan du roman et de son écriture; il en retient l’esprit et non la lettre, et en donne une interprétation libre. Dans Mektoub, my love : canto uno, nous sommes à Sète à l’été 1994 et Amin a une vingtaine d’années, il vit à Paris où, après avoir abandonné des études de médecine, il tente de percer comme scénariste tout en travaillant dans un restaurant. De retour sur les lieux de son enfance, le jeune homme revoit tous ses amis et en rencontre de nouveaux, il fait beau et chaud, le désir et le plaisir sont à portée de main. Amin est à la fois dehors et dedans, observateur et jouisseur, voulant écrire une histoire ou tenter de la vivre.

D’une durée de 2h55, presque entièrement interprété par de nouveaux venus dont Shaïn Boumedine, Ophélie Bau, Lou Luttiau et Alexia Chardard, le film est baigné de soleil, ce que les deux phrases en exergue, la première tirée de la bible, la seconde du Coran, mettent en avant puisqu’il y est dit que «Dieu est la lumière du monde» et que «… Lumière sur Lumière, Dieu donne Sa Lumière à qui il veut»…

 
Dans le même genre vous pouvez trouver PAULINE À LA PLAGE DE ERIC ROHMER (1983) (Film d’été et découverte des premiers émois amoureux...) ou encore JUSQU’À LA GARDE DE  XAVIER LEGRAND (2017) (Film français présenté en 2017 en compétition au Festival de Venise, comme Mektoub my love : canto uno.).

A regarder Mektoub , my love : canto uno, qui s’achève sur une promesse de suite, un canto due que le réalisateur a filmé en même temps que le premier, on ne peut s’empêcher de penser que Kechiche, né en 1960, parle de lui ici. Car ce film contemplatif est vu à travers les yeux d’un jeune homme en quête d’une histoire (à vivre, à écrire), qui regarde et photographie, s’attache à la beauté du monde et des êtres, à la jeunesse et à une certaine pureté originelle.  Dans une interview au Monde en mars 2018, lors de la sortie en salles du film, Abdellatif Kechiche déclarait : «J’y revendique le fait de ne rien raconter de spécial. D’être simplement dans l’innocence, le jeu, le plaisir collectif, le moment et le mouvement des choses. »

On y retrouve son style et sa manière, son exceptionnelle capacité à débusquer des acteurs débutants, à les diriger dans une chorégraphie qui semble autant façonnée par avance qu’improvisée sur le moment. On reconnaît aussi une façon unique de filmer les corps et le sexe, la danse et la transe, avec parfois la tentation de ne jamais s’arrêter dans des plans qui durent au-delà de l’attention qu’on peut leur donner, comme ici notamment dans la boîte de nuit.

Les références sont nombreuses, de Shakespeare (la meilleure amie de Amin s’appelle Ophélie) à Gustave Courbet (le sexe comme «origine du monde»). Côté cinéma, le brassage est impressionant ; de Aldo Maccione (et donc L’aventure c’est l’aventure de Claude Lelouch, avec l’imitation par le cousin Tony de la démarche «classe» du comique italien sur la plage), à Scarface de Brian De Palma ou Pulp Fiction de Quentin Tarantino, en passant par Arsenal, oeuvre de 1929 sur les ravages de la première guerre mondiale, signée Alexandre Dovjenko, qu’Amin regarde un jour dans le secret de sa chambre d’adolescent, plutôt que de sortir s’éclater au soleil.

A premier champ, chant premier : toute en liturgie, l'ouverture de Mektoub, My Love lance magnifiquement le manège estival d'Amin, de retour à Sète après une année parisienne où il abandonna la médecine pour la photo et les scénarios. Lumière radieuse, permanence de l'horizon ...

J'ai pris mon temps pour noter "Mektoub, My Love : Canto uno", plus de deux semaines, je l'ai laissé maturer en moi, j'ai voulu voir si la fièvre redescendait. Et c'est tout le contraire qui s'est passé, ce film vit en moi, vient me travailler chaque jour, chaque nuit. Je ...

Le naturalisme de Kechiche a toujours questionné : son appréhension de la longueur, son rapport à certains sujets (le sexe, les repas) s’inscrivaient jusqu’alors dans des structures narratives qui semblaient servies par ces gros blocs séquentiels d’authenticité. Mais, ...