MATERNITÉ ÉTERNELLE

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Certaines traductions de titres ne rendent pas justice aux œuvres. Maternité éternelle est de celles-ci. Car le personnage principal de ce film japonais, la jeune Fumiko, n’est précisément pas enfermée dans son rôle de mère. C’est d’abord une femme, coincée dans un mauvais mariage et éprise de poésie, dont les ambitions et les désirs s’accomodent bien mal des carcans du Japon des années 1950. Lorsqu’enfin, elle trouve le courage de divorcer et d’assumer sa plume, on lui diagnostique un cancer du sein foudroyant.

Inspiré de la vie d’une poétesse morte à 31 ans de cette maladie, adapté des mémoires d’un journaliste amant de cette poétesse, Maternité éternelle est le film de toutes les audaces. Celle, d’abord, de dézinguer les hypocrisies de la famille traditionnelle. Affublée d’un mari oisif et volage, Fumiko ne cessera de rappeler qu’elle n’a jamais vraiment voulu se marier, au point de garder envers cette institution une rancune tenace. Celle, ensuite, d’élargir les horizons de son personnage féminin bien au-delà de ce qui est attendu d’une mère de famille japonaise. Houspillée par sa propre génitrice, qui souhaiterait la voir plus engagée dans la tenue de son foyer, Fumiko passe l’essentiel de son temps à écrire et partager ses poèmes avec le reste de son groupe littéraire, non sans subir les railleries de camarades qui n’apprécient guère qu’elle dévoile autant de sentiments intimes dans ses vers. Celle, enfin, de parler frontalement du cancer du sein et de ce qu’une mastectomie représente pour une femme. Opération, prothèses, réappropriation du corps… la réalisatrice Kinuyo Tanaka n’élude rien.

Pourtant, le troisième film de celle qui fut d’abord actrice, et tourna avec les plus grands réalisateurs japonais (Ozu, Naruse, Mizoguchi), n’a rien de doloriste. Maternité éternelle est même d’un érotisme étonnant grâce à des scènes magnifiques. Dans l’une d’elles, préfiguration de l’assouvissement des désirs malgré les meurtrissures du corps, l’amant de Fumiko s’allonge au-dessus d’elle pour calmer l’une de ses crises. Dans une autre, une poignée de plans fixes sur des vêtements froissés et les prothèses mammaires délaissées vient suggérer ce que les deux ont vécu dans la nuit.

Porté par l’actrice Yumeji Tsukioka, absolument merveilleuse, Maternité éternelle est aussi un film qui redouble d’inventivité formelle. Articulant son long-métrage autour de courtes séquences, passant de la chronique campagnarde à ciel ouvert à une lente agonie dans un hôpital semblable à une prison, Kinuyo Tanaka a l’art d’introduire de nouveaux espaces via le détail. Un ballon qui mène à une école, un spot surplombe un bloc opératoire, un visage seul filmé en plan serré qui se révèle, alors que la caméra dézoome lentement, entouré, pour ne pas dire étouffé, par les autres. Savoir qu’à l’époque (Maternité éternelle sort en 1955), la cinéaste n’était que la deuxième japonaise à se lancer dans la réalisation, ne fait que renforcer l’impression d’assister à un film remarquablement moderne, fièrement féministe.