Director's cut :
Après une première projection du film d’une durée de 222 minutes, le producteur impose 20 minutes de coupes à David Lean, notamment un plan de lunettes se balançant dans un arbre, des scènes de salles de rédaction dans un journal, des séquences dans le mess des officiers dans laquelle Lawrence se fait traiter de clown, des dialogues entre Jack Hawkins et Claude Rains… La restauration supervisée par David Lean lui-même en 1988 les réintègre.
Lawrence d’Arabie est un film de légende. Tout simplement. Il synthétise tous les fantasmes d’Orient, de modernité, de mélancolie aventureuse. C’est à la fois le chemin de Damas, les mille et une nuits, et l’Odyssée. Il faut dire aussi que comme le cinéma peut en produire, les miracles se sont accumulés pour que la réussite soit totale. C’est d’abord l’adéquation absolue entre un rôle et un acteur.
Pour jouer Lawrence, David Lean avait d’abord fait le tour des acteurs célèbres et charismatiques. Brando avait signé avant qu’il ne refuse au prétexte qu’il n’avait pas l’intention de passer deux ans sur un chameau avant de s’en aller tourner « Les révoltés du Bounty » de Lewis Milestone. On envisage ensuite Anthony Perkins, enfin Albert Finney tourne des essais en costume qui enthousiasment tout le monde avant que finalement l’acteur ne refuse le rôle à cause de la durée du contrat. C’est alors que Lean décide de chercher un nouveau visage. Même pour un film à 15 millions de dollars et quatorze mois de tournage c’est possible car le cinéaste britannique vient de signer l’énorme succès du « Pont de la rivière Kwaï ».
Pendant ce temps Monty Clift fait pression pour arracher le rôle-titre mais à cause de ses problèmes d’alcool sur « Soudain l’été dernier » Spiegel le producteur n’en veut plus. L’ironie de l’histoire sera que l’acteur choisi in fine est lui-même un gros buveur. Recommandé par Katherine Hepburn c’est donc l’arrivée de Peter O’Toole. 80 pièces du répertoire joué dans le cadre de la « Royal shakespeare company », et une poignée de rôles au cinéma. Il va prendre la tête d’une distribution exclusivement mâle puisqu’il n’y a pas dans le script une seule ligne de dialogue dit par une femme. Pour incarner Ali, le compagnon de Lawrence, Alain Delon est envisagé mais il ne supporte pas les lentilles de contacts marrons que lui impose le réalisateur. Puis c’est Maurice Ronet mais son anglais est calamiteux, sans parler de son port de djellabah. Finalement, c’est Omar Sharif, grande vedette en Egypte depuis ses premiers films avec Youssef Chahine, qui portera le turban et deviendra une star internationale.
Le reste du générique est composé de la fine fleur des acteurs de composition anglo-américains : Alec Guinness, Anthony Quinn, Claude Rains, José Ferrer, pour ne citer qu’eux. A l’exception de la séquence anglaise de la crypte, le film sera tourné intégralement en décor réel. Séville se déguise en Jerusalem et les déserts du Maroc et de Jordanie donnent l’illusion de l’Arabie. Pour la fameuse charge d’Akaba ce seront 450 chevaux et 150 chameaux qui sont mobilisés. David Lean tourne dans le désert avec des optiques spéciales conçues pour lui. A l’arrivée, servi par la sublime musique de Maurice Jarre, c’est un triomphe dans la critique, aux Oscars et dans les salles. Le cinéaste anglais, à la fin de l’année 1962 est le roi du monde.