L'ORPHELINE AVEC EN PLUS UN BRAS EN MOINS

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L’Orpheline avec en plus un bras en moins. Le titre est un chef-d’œuvre. Et l’on ne se trompe guère si on pense que le film lui-même a été visité par l’ange du bizarre. Il est vrai que cette histoire d’une jeune femme manchote qui s’échappe d’un orphelinat tenu par des religieuses pour trouver refuge chez un juge voyeur, tout en étant amoureuse d’un prestidigitateur sous la coupe d’un trafiquant érotomane n’est pas de celles que l’on raconte le plus souvent…

Il est évident que Jacques Richard, le réalisateur de cette fantaisie, est de ceux que rien n’effraie et qui n’aiment rien tant que sortir des sentiers battus. Adepte des intrigues feuilletonesques, amoureux du second degré, il s’est manifestement plu à donner vie à des personnages qui sont autant de clichés ambulants.  Jonglant avec le mauvais goût, flirtant avec l’érotisme, notre homme assume sa position de marginal.

De fait son film est inclassable. C’est une curiosité baroque à l’humour noir délirant, une satire bulldozer des perversions en tous genres, servie par une brochette de comédiens qui s’en donnent à cœur joie. Impossible de ne pas penser à Jean-Pierre Mocky pour la provocation, à Raul Ruiz pour la fantaisie surréaliste, voire à Luis Buñuel qui lui aussi vouait une grande affection aux infirmes.

 
Dans le même genre vous pouvez trouver LES TROIS COURONNES DU MATELOT (C'est le même plaisir à casser les barrières entre réel et fantasme dans un univers pittoresque...) ou encore LA VIE CRIMINELLE D'ARCHIBALD DE LA CRUZ (Pour la fascination fétichiste suscitée par les membres d'une femme).

Le signataire de cet OFNI, Objet filmique non identifié, se nomme Jacques Richard. Un cinéaste à part, dont l’œuvre foisonnante n’a jamais connu l’adhésion du grand public. Ses films peinent d’ailleurs assez souvent à trouver un financement. Ce qui est le cas de cette Orpheline qui a mis quatorze ans à voir le jour. Mais le cinéaste est un coutumier du fait : réalisé en 1975, son Vivarium ne sortira en salle qu’en 2007 ! Artisan malicieux, esthète exigeant, Jacques Richard a commencé sa carrière comme assistant de Benoit Jacquot, Philippe Garrel, Jean Eustache. Avant de réaliser des dizaines de films, dont la plupart
- courts métrages, documentaires, films de télévision - échappent aux classements habituels.

Personne ne s’offusquera dans ces conditions de voir que c’est avec Roland Topor que le cinéaste a fait équipe pour écrire le scénario de cette Orpheline avec en plus un bras en moins. Topor qui reste un artiste total. A la fois illustrateur, dessinateur, peintre, écrivain, poète, metteur en scène, chansonnier, acteur et cinéaste, ce touche-à-tout de génie a toujours fait montre d’une fantaisie rare, d’une inventivité débridée, d’une imagination surréaliste. Richard et Topor ont frotté leurs imaginaires et cela a produit des étincelles. Mais le second est mort peu après, en 1997, laissant au premier le soin de mener l’aventure jusqu’à son terme.

Si L’Orpheline est bien au bout du compte un film de Jacques Richard, les fantasmes sadiens de Topor sont ici à l’honneur. Le cabaret est comme une ruche où bourdonnent des jeunes filles dénudées. Et notre orpheline nous trouble tout au long du film avec sa plastique irréprochable, si ce n’est l’absence d’un bras. Un bras que la comédienne qui lui prête ses traits a dû dissimuler tout au long du tournage. Pas question de faire comme Audiard qui avait gommé dans De rouille et d’os les jambes de Marion Cotillard à la palette graphique. Mais au final personne ne lui en avait tenu rigueur. Il était loin le temps où l’affiche d’Ave Maria faisait scandale au motif qu’elle représentait Isabelle Pasco crucifiée et seins nus. Tout un programme, on en conviendra.

Un film de Jacques Richard (2012) d'après une pièce de Roland Topor (1938-1997) avec Noémie Merlant et Jean-Claude Dreyfus (excellent). On se demande bien pourquoi certains films sont condamnés aux salles confidentielles alors que des navets ont droit aux grands circuits de ...