AMERICA

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Le cinéaste et documentariste Claus Drexel savait-il ce qu’il faisait lorsqu’il est parti subitement, en pleine élection américaine, dans une petite ville perdue au cœur de l’Arizona profond, soutenu par simplement son directeur photo et son producteur ? A l’époque, tous pariaient sur une victoire de la démocrate Hillary Clinton, et pensaient que Trump ne serait qu’une anomalie, rapidement balayée par les résultats du vote.

Mais ce que capte la caméra de Drexler, les confidences de ses habitants, symptomatiques d’une Amérique au bout du compte peu filmée, et encore moins écoutée, portent en eux les traces du choc à venir. Tous ne sont pas pro-Trump, loin de là, mais le sentiment général de mécontentement, l’envie de tout envoyer valdinguer, quel qu’en soit le coût, est palpable.

Dans une grande veine documentaire, celle de Wiseman ou Depardon, le réalisateur filme les êtres et leur milieu, se servant du magnifique paysage, digne du plus flamboyant des westerns. C’est ce grand écart entre l’Amérique du mythe, de Ford et des pionniers, et la réalité concrète d’un pays, que réussit à attraper America, loin des certitudes, ou des jugements.

 
Dans le même genre vous pouvez trouver MARCHING BAND (Parce qu'en observant une autre petite communauté durant l'élection présidentielle de 2008, le cinéaste Claude Miller livre le négatif parfait et complémentaire d'America, et de sa description de la campagne de 2016.) ou encore IDIOCRACY (Parce que cette comédie d'anticipation, en imaginant une Amérique dirigée par un président volontairement stupide et anti-intellectuel, s'est révélée plus lucide que prévue.).

Même s’il a démarré dans la fiction, avec son premier long métrage, c’est bien avec le documentaire que Claus Drexel s’est vraiment imposé, et plus précisément par son deuxième film, Au Bord du monde, regard à hauteur d’homme sur la population des sans-abri de Paris. Pour America, ce sont les mêmes questions, celles de bien des documentaristes, qui se sont à nouveau posées : comment filmer en étant juste, mais sans juger soi même, comment capter une vérité à travers l’exercice souvent faussée des entretiens, comment même rendre l’impression du lieu filmé, des gens qui y vivent, sans le polluer d’idées préconçues ?

Etonnamment, la parole fut ici plutôt facile, selon le réalisateur. Le fait que les habitants de la petite ville choisie soient un peu laissés pour compte a facilité la démarche de Drexel. Ils se sont sentis flattés par son intérêt, se percevant comme peu entendus, et ont au final accueilli cet étranger venu jusqu’ici, en saisissant l’occasion de pouvoir s’exprimer, souvent sans filtre. Mais il n’y a pas que les interviewés : le paysage, les maisons, l’architecture et les grandes plaines, sont aussi vitales que le reste à la compréhension globale du lieu, loin de tout, y compris d’un hôpital, poste de police, ou quelconque autre représentant de l’état.

Bien entendu, le metteur en scène a lui-même un point de vue sur la situation, très anti-Trump et étonné de voir tant de gens voter clairement, selon lui, contre leurs propres intérêts économiques. Mais, comme ses glorieux modèles Depardon ou Jean Rouch, Drexel pratique le cinéma en ethnologue, observant les gens et les faits devant sa caméra, préférant se laisser surprendre par ce qui va surgir. Et il a trouvé une population dont le sens de la fierté nationale les pousse dans les bras de Trump, dans une pulsion courageuse et, selon le cinéaste, plus lucide et suicidaire qu’on peut le croire. Sa conclusion est néanmoins sans appel : ces Américains voulaient juste « mettre un coup de pied dans la fourmilière », oubliant que celle-ci est en fait notre planète.

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