LES AVENTURES DE RABBI JACOB

en VOD

En 1973, Louis de Funès est enfin devenu une star du cinéma français. Gérard Oury, qui l’avait dirigé dans un petit rôle en 1961, pour un sketch du Crime ne paie pas, lui a donné ses plus gros succès de box-office en l’associant à Bourvil dans Le Corniaud et La Grande Vadrouille. Suit La Folie des grandeurs, en 1971, qui oppose de Funès à Yves Montand, remplaçant le comédien normand décédé. Pour le nouveau projet, dans lequel il tiendra seul le haut de l’affiche, de Funès réclame « un beau rôle de salopard ».

Rabbi Jacob est alors mis à l’écriture. D’origine juive mais étranger aux pratiques religieuses et trouvant incongrus les accoutrements des rabbins hassidiques, Oury a envie d’une comédie sur la communauté juive orthodoxe, telle qu’il l’a connue rue des Rosiers. Avec sa fille Danièle Thompson, il invente une mécanique infernale et folle qui jette Victor Pivert, industriel odieux, méprisant, veule et raciste, dans les bras de Slimane, un leader arabe révolutionnaire coursé par des barbouzes. Contraint de se déguiser, Pivert est pris pour un vieux rabbin venu de Manhattan assister à la Bar-Mitsvah de son petit-neveu.

Oury réussit un film burlesque mouvementé, emporté par un Louis de Funès frénétique, qui se délecte à jouer Victor Pivert, dont le racisme éclate en morceaux, dans un récit qui prône le rapprochement des juifs et des arabes. Mais sa veulerie et son orgueil resteront intacts et c’est tout le génie du comédien de faire rire avec un personnage aussi réactionnaire. Sans assener de message, Oury dénonce le racisme, l’intolérance, l’avidité, et même la bêtise policière avec Claude Piéplu, en commissaire peut-être aussi admirablement stupide que l’inspecteur Clouseau de Peter Sellers.

 
Dans le même genre vous pouvez trouver LE RABBIN AU FAR-WEST (De Robert Aldrich. Gene Wilder joue aussi une comédie avec un rabbin en personnage principal, décidé à fonder une synagogue à San Francisco.) ou encore MUNICH (de Steven Spielberg. Reconstitution de la riposte israélienne après l'attentat palestinien aux jeux olympiques de Munich de 1972. Le film d'Oury baigne dans le climat du conflit israélo-palestinien de cette époque.).

En revoyant, ou pour certains en découvrant, Les Aventures de Rabbi Jacob, nous sommes frappés par l’incroyable liberté que Gérard Oury et Louis de Funès se sont permis, en plein conflit palestinien sioniste. La prise d’otages des athlètes israéliens exécutés par des terroristes palestiniens au jeux olympiques de Munich de 1972 est encore dans les esprits. La critique a souvent reproché aux deux hommes des scénarios faciles, sans aspérités. Il y a pourtant dans ce film un esprit rageur, bête et méchant, digne d’Hara-Kiri, et une ridiculisation virulente des institutions, policières et politiques, avec des dialogues d’une incorrection qui paraît désormais impossible. « Vous avez vu Salomon ? Ils ont des voitures maintenant. Ils ont des Rolls blanches, les Noirs », s’indigne Pivert devant un mariage dont la mixité, un Blanc aux bras d’une Noire, le révulse. Et que dire du gag qui s’ajoute : le pot d’échappement de la Rolls blanche qui couvre de suie noire un de Funès furibard. Maintenant, les instances communautaires hurleraient au « blackface » et exigeraient le boycott, insensibles à la force satirique intacte du film.

On a aussi reproché à de Funès son narcissisme. Là encore le film, qui repose pourtant sur ses seules épaules, contredit cette fable. C’est bien un festival de Funès, mais la coquille serait vide sans son casting, irréprochable à tous les étages. En Salomon, Henri Guybet, venu du café-théâtre, trouve une consécration méritée. On remarque aussi, en M. Schmoll, Jean Herbert qui triomphera dans des one-man-shows en tant que Popeck. En inspecteur-adjoint ahuri, le chanteur-compositeur Roger Riffard. Le barbouze arabe est Renzo Montagnani, un habitué de la sexy comédie italienne. Le ministre de l’Intérieur, pressé de vendre ses avions à réaction, est André Falcon, sociétaire de la Comédie française. Et le véritable Rabbi Jacob est Dalio, déjà rabbin en 1936 dans Le Golem de Julien Duvivier et mémorable marquis de La Chesnaye dans La Règle du jeu.

Cette richesse s’étend jusqu’à la figuration minutieuse, dont s’est chargée Margot Capelier. L’aéroport d’Orly, la rue des Rosiers reconstituée dans un quartier de Saint-Denis, la synagogue nécessitent beaucoup de monde. Georges Ass, avec ses gros sourcils broussailleux, est identifiable en homme de ménage à l’aéroport puis habitant de la rue des Rosiers, une incongruité pardonnable tant la figuration est fluide. Plus connu que Ass, dans le mariage aux Invalides, Jérôme Deschamps, créateur des Deschiens, l’animateur Olivier Lejeune et Christine Boisson font chacun leur première apparition, parmi des seconds couteaux chevronnés comme Robert Le Béal, René Lefèvre-Bel, le futur hardeur Jacques Marbeuf et Charles Bayard, abonné aux ganaches militaires – c’était un ancien officier de cavalerie, auteur du Cri de la France. Dans le milieu du spectacle, on se moque toujours du hallebardier, emploi ingrat, symbole d’anonymat. Or le hallebardier à lunettes, sur les marches des Invalides, dont le hiératisme contraste avec l’agitation du curé, se nomme Maurice Jany, un familier des comédies de Jean-Pierre Mocky depuis Un drôle de paroissien dont la régisseuse était, justement, Margot Capelier. Dans Rabbi Jacob, chaque figurant est talentueux, choisi avec précision, et participe aussi, à son modeste rang, à la réussite du film.

Dans ma grande naïveté, je me plais à croire que ce film a plus fait contre le racisme que des décennies de slogans militants. Car c'est un objectif essentiel des Aventures de Rabbi Jacob : combattre le racisme. Victor Pivert est raciste. Contre les arabes, les Juifs, mais ...

Cette comédie populaire culte reste indémodable, chaque diffusion télé fait péter l'audimat, et je crois que comme la Grande vadrouille (qui reste quand même mon préféré), malgré le nombre de fois incalculable que je l'ai vu, je peux le voir et le revoir encore ...

Critique remaniée le 25 octobre 2021 Victor Pivert est un homme d'affaires très préoccupé, nanti, irascible et survolté. En effet outre ses "affaires", omniprésentes dans son esprit, il doit marier sa fille Antoinette au fils d'un général, prestige de la famille oblige. ...