ALEXANDRA'S PROJECT

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L'Australie est un drôle de pays, un continent insulaire en très grande partie désertique, colonisé sur le tard par les Anglais pour en faire un bagne. Nous n'irons pas jusqu'à suggérer qu'il subsiste dans le comportement de ses habitants une tendance à tous les excès. Pourtant force est de constater que les films australiens sont souvent border line, comme on dit, quand ils ne se situent pas carrément de l'autre côté du dérèglement mental. Tout le monde se souvient du récent et très horrifique Wolf creek, qui n'a rien à envier à son pendant américain, Massacre à la tronçonneuse. Alexandra's project ne va sans doute pas aussi loin dans l'horreur, et celle-ci reste essentiellement psychologique. Mais force est de reconnaître que nous sommes durablement déstabilisés. D'autant que l'autopsie du couple qui est effectuée sous nos yeux ne peut pas ne pas rencontrer d'écho dans notre propre vie. Le signataire de cette plongée en apnée dans l'esprit humain n'est autre que Rolf de Heer, l'éclectique réalisateur du très atypique 10 canoës, 150 lances et 3 épouses. Il avait dans les années 90 fait parler de lui avec Bad Boy Bubby, dont le héros était un type peu ragoûtant qui n'avait pas quitté depuis trente ans le sous-sol où sa mère le tenait séquestré. On le voit, le cinéaste ne déteste pas les expériences limite et les esprits dérangés. On ne serait pas surpris non plus d'apprendre qu'il développe une vraie phobie de l'enfermement. Attachez vos ceintures !

 
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Alexandra's project comportait plusieurs gageures. Tenir le spectateur en éveil en lui montrant un personnage qui lui-même regarde une cassette pendant trois-quarts d'heure n'était pas à la portée du premier venu. Comme le reconnaît lui-même le réalisateur : « N'importe qui aurait été tenté de zapper au plus vite avec sa télécommande mais j'ai essayé de faire en sorte que le dispositif ne soit pas rébarbatif et que le spectateur soit dans le même état que le personnage principal: incapable d'accélérer avec sa télécommande parce que la pression est telle qu'on ne peut pas sauter des événements. Le mécanisme peut s'apparenter à de la torture psychologique mais c'est ce qui génère le suspense ». Et force est de constater que Rolf de Heer nous captive, que les rebondissements sont foison dans ce duel à distance entre les deux composantes d'un couple qui s'est défait. Nous serrons les mâchoires tant le malaise est patent, nous nous attendons à ce que l'irréparable soit commis. Il ne l'est pas, à ceci près que nous ne sommes pas disposés à parier lourd sur les chances de rétablissement mental du héros, dont le machisme ordinaire est passé à la moulinette de sa mauvaise conscience. Alexandra's project est-il un film féministe ? Rolf de Heer ne le revendique pas, mais il en accepte volontiers l'étiquette. Le film a en tous cas été porté à bouts de bras par les femmes prêtes à en découdre. Les débats qui ont suivi les projections se sont révélé des plus animés, les uns acclamant le film quand les autres le vouaient aux gémonies. Il est vrai que Alexandra's project peut être vu comme un test du Rorschach grandeur nature dans lequel chacun pourra trouver des reflets de sa propre histoire. Ce n'est pas par hasard si les premières images du film nous montrent l'environnement du couple : une banlieue propre et sans doute sans histoire pour jeunes cadres dynamiques, une banlieue qui n'aurait pas déparé chez Spielberg. C'est pourquoi l'insolite dérange. Pour obtenir le meilleur de ses deux comédiens, qui jouent leur partition chacun de leur côté, le cinéaste les a filmé dans des conditions proches de ce que vivaient les personnages. Helen Buday par exemple, seule devant l'objectif de la caméra restait maîtresse du rythme de son impudique confession, le réalisateur se faisant le plus discret possible un peu plus loin, devant son combo. Réalisé en 2003, ce film reste en France inédit en salles. Mais les admirateurs de Rolf de Heer ont eu bien d'autres occasions d'admirer son sens du cinéma et son goût pour les situations baroques. Né en 1951 aux Pays-Bas le réalisateur a grandi en partie en Indonésie, qui venait alors d'accéder à l'indépendance, avant que sa famille n'émigre en Australie. Il a travaillé à la télé australienne avant de se tourner vers le grand écran. Son premier film marquant est Dingo, en 1991, avec Miles Davis dans son propre rôle. Mais ce sont ses films suivants, Bad Boy Bubby et La Chambre tranquille, qui le sacrent comme étant un cinéaste susceptible de figurer au palmarès des grands festivals. Ce qui ne l'empêche pas d'être déconcertant, sinon provoquant. On ne peut pas voir Dance to my song, qui raconte une histoire d'amour entre une paraplégique et son infirmier sans être secoué... D'autant que le scénario est issu de la plume d'une jeune femme handicapée et qu'il ne fait pas semblant... Mais comme Peter Weir avant lui (avec La Dernière vague), Rolf de Heer s'intéresse également de très près aux aborigènes, peuple primitif et opprimé. Il leur consacre deux films, The Tracker et 10 Canoës, 150 lances et 3 épouses. Une plongée inattendue dans une société qui n'entretient que peu de rapports avec la nôtre. Et dont le moins que l'on puisse dire est qu'elle propose au couple un fonctionnement quelque peu différent...